Lorsque les contraintes économiques usuelles se doublent de stratégies de frugalité environnementale, il est naturel de se pencher sur l’emploi raisonné des ressources, et notamment des ressources humaines, dans la conduite des projets. Mais serrer la vis sans discernement ne risque-t-il pas de réduire nos chances de succès ? Ou de nuire aux acteurs projet, capacités appréciables certes, individus dotés d’envies et de besoins propres surtout. En ces temps de grands changements, nous, professionnels du management de projet, sommes tous à la recherche de sens. Ce dernier peut se trouver dans la finalité du projet, il peut aussi se nicher dans la manière de gérer les projets : efficiente et respectueuse de l’humain. La gestion des ressources exerce une grande influence sur ces deux paramètres. Le sujet dépasse même souvent le cadre des projets, sa prise en compte demande une bonne compréhension des enjeux et une dose de technicité. Je vous propose de creuser cette question ensemble en précisant d’abord les notions de charge et de besoins à satisfaire puis via l’étude d’un cas concret et des bonnes pratiques à mettre en œuvre.

Qu’est-ce que la charge ?

Bien plus qu’une accumulation de chiffres portée par des bases interminables, la charge est d’abord une entité vivante dans le temps. Au niveau d’une organisation, elle se décompose classiquement entre charge ferme correspondant aux projets en cours et contrats gagnés ; charge probable mesurant les projets et contrats ayant une certaine probabilité de réalisation, 50% par exemple ; et charge projetée représentant les appels d’offres à venir ou estimés sur la base de l’analyse du marché et les projets internes potentiels. La maille de décomposition de cet empilement n’est pas constante. Grossière à long terme où elle sert les intérêts de la stratégie d’entreprise (RH, commerciale…), elle s’affine à mesure que la flèche du temps se déroule jusqu’à atteindre un niveau de détail compatible avec les impératifs de gestion opérationnelle. Les changements de « maille » décrits dans les processus d’entreprise sont souvent désignés par le terme de « rolling wave planning ». Ce concept s’illustre souvent en milieu d’année, à l’occasion de la préparation du budget de l’année à venir. Que celui qui n’a pas connu ce grand moment de décomposition de l’activité lève la main !

Humains nous sommes…

« Quel est le reste à faire ?

– Je prévois 100h pour terminer l’activité.

– 100h ?! Mais le mois dernier il restait aussi 100h, ça n’avance pas ! »

Nous avons tous déjà vécu une situation de ce type, certains l’ont même vécu des deux côtés de la barrière. Que devons-nous retenir ?

  • La mesure de l’avancement est subjective, elle peut manquer de précision ou être marquée du syndrome des 90%, ou autrement dit de la tâche qui ne finit jamais,
  • La charge n’est pas stable dans le temps, elle se précise avec notre connaissance du projet,
  • Celui qui fait n’est pas toujours celui qui estime !
  • Pris par les objectifs à tenir, il est facile de basculer dans la mise sous pression et l’accusation.

Les échanges autour de la charge et des ressources intègrent donc inévitablement un aspect humain.

Centre de gravité des besoins

Trois besoins fondamentaux vont déterminer le centre de gravité des besoins à prendre en compte. Ce prisme, fonction de la culture d’entreprise, impacte la manière de gérer les ressources.

  • Le besoin des projets est de s’assurer de la capacité à réaliser les tâches du projet pour terminer à l’heure. Le chef de projet souhaite également connaître la stratégie “make or buy” mise en œuvre en raison de son influence sur les coûts de développement.
  • Le besoin des métiers consiste à adapter la capacité productive à la charge entrante des projets. Cette activité nécessite de l’anticipation car les actions qu’elle implique (formation, recrutement) ont des durées de 6 mois à un an, parfois plus. Intrinsèquement instable, cette gestion demande une attention constante.
  • Le besoin de la direction vise quant à lui à se doter d’une vision complète, synthétique et à plus long terme du portefeuille de projets de l’entreprise, en support aux orientations stratégiques de celle-ci (commerciales, organisationnelles, achats, RH, etc.) mais aussi aux arbitrages entre projets lorsqu’il s’agit de reporter ou d’annuler ceux de priorité moindre.

Besoins individuels

Rouage indispensable mais souvent oublié dans cette mécanique d’ingénieur : l’humain et ses besoins.  Retenons comme outil d’analyse la pyramide de Maslow. Eludons d’emblée les niveaux relatifs aux « besoins physiologiques », et « besoin d’accomplissement », peu féconds dans le cadre de notre étude, pour nous pencher sur les étages intermédiaires :

  • Le besoin de sécurité nous renvoie au besoin de connaissance du planning projet et des priorités à des fins d’organisation personnelle. Il appelle au respect des phases de transitions car nous sommes moins efficaces en début de projet quand la connaissance se construit. Même difficulté lorsqu’intervenant sur plusieurs projets, notre ratio personnel « temps de production »/« temps d’acquisition de l’information » navigue en eaux profondes. Il nous ramène enfin à la nécessité évidente de disposer d’un temps suffisant pour réaliser les tâches prévues, ce qui milite pour l’implication des « réalisateurs » dans l’estimation des tâches projet.
  • Dans un cadre professionnel, le besoin d’appartenance est souvent l’adhésion à l’entreprise, son image et ses valeurs. Attachons-nous donc à prolonger la « marque employeur » par la marque « projet » associée aux buts recherchés et par la « marque métier » orientée sur les thématiques de compétence et d’amélioration continue.
  • Le besoin d’estime nous ramène à la reconnaissance de ce qui compose la contribution personnelle de chacun. Au-delà d’une quantité d’heures et d’une compétence, se révèlent l’expérience, l’implication et les affects. Sachons les reconnaitre, nous ne sommes pas des numéros, nous sommes des hommes libres !

En pratique

Prenons le cas simplifié d’une PME menant plusieurs projets d’outillages en parallèle. Elle dispose de compétences en étude mécanique, automatisme, fabrication et test. Dans ses rangs se trouvent des chefs de projets et même des planificateurs de métier, profils délicats à trouver dans certains secteurs. Les plannings sont donc correctement réalisés mais rien n’est prévu pour consolider la charge. Dans ces conditions, difficile de répondre aux questions du dirigeant :

  • Suis-je en mesure de tenir les plannings ?
  • Est-ce que j’optimise bien l’utilisation des ressources ?
  • Dois-je adapter la capacité ?

Aidons ce responsable et démarrons par la mise en place d’une RBS, Ressources Breakdown Structure, commune à l’entreprise, de manière à harmoniser les catégories de ressources affectées aux tâches. Paramétrons les calendriers en indiquant a minima les périodes de fermetures de l’entreprise comme « chômées » (typiquement en mai, août et décembre).

Pour une gestion nominative des charges, injectons les informations de disponibilité réelle des intervenants dans les plannings. Consolidons enfin à intervalle régulier ces informations dans un outil de data visualisation. Ça y est ! Nous sommes en mesure de comparer la charge et la capacité, par projet, par compétence aux différents niveaux du RBS. Des décisions en découlent : lissage, priorisation et renforts pour passer les pics. Ces décisions sont ensuite réintroduites dans les plannings et la vie des projets poursuit son cours… jusqu’au prochain exercice qui reviendra inévitablement au bout d’une ou quelques semaines. Facile, non ? Rien n’est moins sûr et de nombreux écueils, tapis dans l’ombre, guettent le manager le plus averti.

Faire dialoguer les référentiels

Premier obstacle souvent rencontré : le mauvais dialogue des référentiels. Ou plus clairement de la difficulté à se comprendre entre métiers et projets. Prenons l’exemple d’un projet nécessitant le développement de logiciels embarqués. L’équipe projet émettra donc un besoin pour la compétence « développeur logiciel » et passera à la tâche suivante. Coté métier, on s’en doute, ce n’est pas si simple. Si un développeur logiciel démarre bien le travail, il est suivi par un testeur unitaire puis un testeur d’intégration. Un expert vient enfin vérifier les résultats et valider le développement. Une compétence d’un côté, quatre de l’autre ! Pire, la ressource « expert » peut être critique, la charge associée aux tests très variable. Le projet n’en a tout simplement pas conscience. On le voit, prendre le temps de faire dialoguer les référentiels est une nécessité pour une communication efficace autour des besoins et l’identification partagée des risques.

Analyser une demande projet

Une autre situation, très classique, met en présence un projet présentant une demande de ressource au métier en très forte augmentation par rapport à la consommation d’heures observée jusque-là. Ce genre de cassure dans la demande se répartit typiquement en deux catégories qu’il faut savoir repérer. Premier cas, un changement de phase projet, comme la contractualisation et le démarrage en parallèle de nombreux lots de travaux, justifie cette brusque hausse de la demande. Rien à redire, il faut accompagner le mouvement pour respecter le calendrier du projet.

Second cas, le projet prend du retard mais ne modifie pas sa date de fin prévisionnelle. Il parallélise de manière potentiellement excessive son reste à faire, comprimant ainsi un ressort risquant fort de se détendre par la suite. Il importe pour le responsable métier, soucieux d’efficience et d’équité dans la mobilisation des ressources, de ne pas s’arrêter à la demande brute du projet mais de la comprendre et de la challenger. En cas de doute, jeter un œil sur le planning, l’avancement physique et son évolution éclaire bien des situations.

Bonnes pratiques

Résumons les bonnes pratiques parcourues ensemble :

  • Maturité et centralisation du processus de planification
  • Planification des projets lointains
  • Calendriers partagés et capacités définies
  • Dialogue des référentiels métiers et projets
  • Déploiement du processus de gestion des ressources sur l’ensemble des projets
  • Analyse à chaque niveau d’agrégation du RBS

Deux dernières recommandations méritent d’être citées pour conclure le panorama :

  • Tolérance dans l’équilibre charge – capacité

Car amener l’écart charge-capacité en deçà d’un certain seuil demande un effort incompatible avec le caractère cyclique du processus de gestion des ressources. Les derniers mètres de l’exercice d’ajustement se feront donc sur des échanges et de la coordination, plus que sur la recherche, utopique et inutile, d’un équilibrage parfait.

  • Catalogues ou abaques de charge pour les projets répétitifs

Le bénéfice est double, embarquement des équipes dans un projet de capitalisation du REX opérationnel et puissant outil d’estimation pour les phases d’initialisation de projet.

En conclusion

Quelles que soient l’organisation et la taille de la structure il est nécessaire de gérer les ressources pour faire avancer au mieux les projets. Le contexte de l’entreprise et celui des projets doivent être finement analysés pour modéliser et outiller cette gestion. Les aspects de conduite du changement, non développés dans cet article, sont à intégrer sous peine de voir émerger des oppositions potentiellement très dures par assimilation de la gestion des ressources à une politique de surveillance et de contrôle abusive. Fort de son benchmark, setec eocen accompagne la mise en place de solutions de gestion des ressources répondant à une grande variété de besoins. Un prochain article développera d’ailleurs la mise en place de solutions PPM – Project Portfolio Management – pan spécifique et expert de notre offre de service.

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