La gestion de projet, avec ses méthodes, concepts et structures variés, constitue un domaine d’une richesse parfois déroutante pour les équipes en charge de sa mise en œuvre. Cette complexité s’accroît encore lorsqu’on considère qu’un chef de projet a besoin d’autres compétences : en ressources humaines, en conduite du changement, en gestion de la qualité… et en gestion contractuelle, sujet du présent article.

Pourquoi s’attarder sur la gestion contractuelle, me demanderez-vous ?

Parce que les conséquences d’une mauvaise maîtrise contractuelle — retards, surcoûts, litiges, insatisfaction client — sont tout simplement inacceptables, tant pour le client que pour le fournisseur.  Mais aussi parce que la performance contractuelle repose sur la collaboration étroite de nombreux acteurs et services de l’entreprise, ce qui en fait une discipline à la fois exigeante, stratégique et passionnante mais, malheureusement pas toujours un domaine d’expertise pour un chef de projet.

À l’instar du projet, le contrat suit un cycle de vie. Nous aborderons donc successivement :

  • L’accord contractuel, socle commun entre les parties pour la réalisation du projet ;
  • La phase d’exécution, ou comment livrer des produits ou services conformes au contrat initial augmenté des changements.

Contractualiser

Quelle est, en substance, la finalité d’un contrat ?

Un contrat :

  • Formalise l’accord entre les parties ;
  • Garantit la sécurité juridique des engagements ;
  • Encadre l’ensemble des dimensions du projet ;
  • Est juridiquement contraignant, en définissant droits et obligations ;
  • Et paradoxalement, libère les parties en fixant un cadre clair.

Quelques bonnes pratiques de contractualisation :

1. Anticiper et prévoir

Il s’agit de clarifier les responsabilités financières et opérationnelles.  Prenons l’exemple d’un contrat liant un constructeur automobile à un équipementier pour la fourniture d’une pièce spécifique. Il est normal qu’un investissement capacitaire souvent à usage multi-client soit à la charge du fournisseur. Amorti sur une très longue durée (ex. : un moyen de presse amorti sur une durée supérieure à 10 ans), cet investissement est facturé à travers une contribution proportionnelle à son utilisation pour un produit d’un client.

Dans le cas d’un investissement propre à un projet (ex. : moule spécifique à une pièce dont la propriété intellectuelle appartient au constructeur), le coût incombe intégralement au constructeur qui paie « cash » son fournisseur.

De même, dans une offre en groupement d’entreprises, l’intégration d’un RACI (Responsable, Approbateur, Consulté, Informé) permet de clarifier les rôles, surtout lorsque la prestation est complexe et les enjeux financiers élevés. Comme le rappelle l’adage : il est toujours plus difficile de se mettre d’accord après la signature qu’avant.

2. Analyser avec rigueur

Côté client, une spécification précise et univoque est nécessaire. Deux recommandations à cette fin :

  • Faire relire les documents contractuels par un tiers pour éliminer les ambiguïtés ;
  • Identifier les zones de variabilité et prévoir des options activables pour faciliter la gestion future.

Côté fournisseur, il convient d’analyser minutieusement le dossier de consultation. L’intelligence artificielle, via des outils comme AI Tender ou des prompts bien formulés, peut considérablement simplifier cette tâche.  Dans un contexte concurrentiel, la prise de risque est inévitable. Il est donc essentiel de bien prendre le temps d’évaluer les risques et opportunités (R&O) puis d’intégrer le coût des actions de réduction de risques ainsi qu’une provision pour les impacts résiduels dans le devis.

3. Sécuriser juridiquement

Faire appel à des juristes internes ou à un cabinet spécialisé est indispensable pour garantir la solidité juridique du contrat.

4. Connaître son contrat

Le contrat est la référence ultime en cas de désaccord. Chaque acteur doit connaître au minimum les clauses qui le concernent. Pour les contrats volumineux, un recensement des clauses clés et, si nécessaire, l’utilisation d’un gestionnaire de contrat dédié sont recommandés.

Piloter la conformité

Livrer un produit ou un service conforme suppose un pilotage rigoureux de cette conformité. Cela passe par la mise en place d’une matrice de conformité aux exigences, qui doit :

  • Être exhaustive dans l’identification des exigences ;
  • Clarifier les attendus ;
  • Identifier les responsables (cf. RACI) ;
  • Et enfin, valider la testabilité des exigences dès les premières phases.

À ce propos, relatons ici la mésaventure vécue par un chef de projet dans une installation nucléaire. Alors que la phase de chantier touchait à sa fin, il a fallu organiser les essais de réception. Parmi les exigences à vérifier figurait l’atteinte d’une dépression minimale entre deux espaces, situés derrière une trappe. Cette trappe, en plomb pour protéger les intervenants contre la radioactivité, n’était pas instrumentable. Exigence non testable, non facturable, équipes à maintenir sur place en attendant de trouver une solution : sueurs froides garanties pour le chef de projet !

Enfin, la matrice doit évoluer au fil des modifications. Il est crucial de tracer toutes les modifications, même sans impact immédiat sur les coûts ou les délais, afin de préserver une configuration complète, à jour et maîtrisée.

Gérer les changements : entre rigueur et souplesse

Si la gestion des changements est un pilier fondamental de la gestion contractuelle, elle est trop souvent négligée — par excès d’optimisme ou par crainte de paraître désorganisé. Grave erreur : une mauvaise gestion des évolutions peut conduire à engorger le projet, et bien souvent ensuite à éroder la marge.

Un client, équipementier aéronautique, qui n’avait pas prévu cette gestion s’est ainsi vu contraint de commander en urgence une prestation de mise en place de Claim Management pour conserver son bénéfice.

Quelques recommandations :

  • Structurer les négociations : dans une première boucle, détailler les changements, réaliser l’étude impact (enjeu macro qualité-cout-délais-performance) en s’appuyant sur le chiffrage initial ou une matrice des coûts, puis, lors de la deuxième boucle, sur la base d’un avis client favorable et d’un  budget associé, entamer la négociation finale pour finalement officialiser la décision
  • Soigner la relation client : bien connaître son interlocuteur, partager les enjeux, faire preuve de transparence, proposer des alternatives qui peuvent aller dans le sens de l’intérêt client, même pour des besoins non formalisés.
  • Faire preuve de souplesse : dans certains cas, si les processus qualité de l’entreprise l’y autorise, absorber un changement sans compensation immédiate peut préserver la dynamique du projet. À condition d’en mesurer les potentiels impacts.

Et les changements tardifs ?

Ils surviennent parfois en fin de phase, menaçant le planning ou le budget. Exemple : une modification de design la veille de la fabrication. Deux options :

  • Prioriser le délai : décider rapidement pour ne pas retarder le projet, et faire porter le risque sur le contenu technique et sur le coût ;
  • Prioriser le coût : prendre le temps de négocier, quitte à décaler.

Pas de solution universelle ici, mais une certitude : il faut savoir, au moment où le changement survient, combien de temps on peut se permettre de prendre pour le traiter et évaluer les impacts associés.

 


Dans un second article, nous traiterons :

  • De la gestion dynamique du contrat, par une communication et une planification continue ;
  • De la collaboration, pour impliquer les équipes et faire progresser la relation contractuelle.

A suivre…

Ont contribué à cet article : Damien Sejourne, Chef du département projet chez Ascent Integration Europe, Francois Potterie, et Philippe Biche, Directeurs de Projet chez setec, Laurent Paletta, Directeur Général chez setec IPMC , Franck Suchet, Directeur Commercial chez setec eocen, Antoine Chaudagne, Directeur Technique et commercial chez setec eocen, et les experts eocen : Sébastien Clmement, Baptiste Demeocq, Arnaud Destreez, Abdelghafour Tarajja et Younes Essoudy Mourry.