Comment réagiriez-vous à la présentation d’une méthode permettant à la fois de mesurer la performance des projets, de prévoir l’évolution des coûts et des délais, de détecter les problèmes et de prendre les (bonnes) décisions ? L’accueil serait, à n’en pas douter, excellent et renverrait aux oubliettes nombre de vos pratiques actuelles !
Né à la fin des années 60 au sein du département de la Défense des États-Unis, l’EVM (Earned Value Management) ou gestion par la valeur acquise porte ces promesses depuis quelques décennies déjà, mais force est de constater que son emploi reste discret en France.
Comment mettre en œuvre concrètement la méthode ? Quels écueils faut-il redouter ? Comment s’en affranchir ? Et pour quels bénéfices ?
Toutes ces questions méritent des réponses. Nous vous proposons ainsi d’étudier le sujet en prenant pour exemples d’abord un projet de construction de centrale nucléaire puis un portefeuille de projets industriels. Une synthèse des enseignements vous permettra de passer, nous l’espérons, de la théorie à la pratique !
Glossaire de survie (*)
AC = Actual Costs ou coûts encourus
BAC = Budget At Completion ou coût à terminaison
CV = Cost Variance ou écart coûts ; CV = EV – AC
EAC = Estimate At Completion ou estimation à achèvement
EV = Earned Value ou valeur acquise ; EV = ∑ (Budget tâche x avancement tâche)
PMR = Project Management Reserves ou réserves de management
PV = Planned Value ou valeur prévue
SV = Schedule Variance ou écart planning ; SV = EV – PV
TAB = Total Allocated Budget ou budget total alloué : TAB = BAC + PMR
(*) Pour un rappel plus poussé de la méthode, se reporter en fin d’article
Le cas étudié est celui d’un projet de production d’études d’exécutions (plans et maquette), pour la construction d’une centrale nucléaire, par un groupement d’entreprises.
Les bâtiments à construire sont constitués de niveaux (étages) et les séquences de travail sont bien établies. Le projet a donc un caractère répétitif, industriel. Cette organisation se reflète dans le devis. Le budget de chaque tâche (BAC tâche) est ainsi connu dès le départ. Cette organisation se retrouve également dans les structures du projet avec la mise en place de WBS (Work Breakdown Structure) et de CBS (Cost Breakdown Structure) cohérentes.
Le contrat exige la mise en place d’un processus de gestion des évolutions dès le démarrage du projet. Il est également prévu que le traitement financier des évolutions obéisse aux règles budgétaires en vigueur sur le projet. Ces dispositions facilitent la maintenance de la PV (Planned Value).
L’équipe projet a établi des règles communes de mesure de l’avancement physique dès le démarrage du projet. Elle a apporté un soin particulier au déploiement et à l’application uniforme et continue de ces règles par l’ensemble des intervenants tout au long de la vie du projet.
D’un point de vue planning, les données suivantes ont été maintenues dans Primavera :
Les coûts ont été réinjectés dans Excel ce qui a permis d’entretenir les données suivantes :
Ces informations ont été concaténées de manière mensuelle dans Excel pour établir les indicateurs EVM. Ces indicateurs ont été injectés dans Power BI pour une meilleure visualisation.
Grace à une approche rigoureuse de l’EVM, l’équipe projet et le client ont disposé d’une vue partagée de l’avancement tout au long de la vie du projet. La précision des indicateurs a positionné les échanges sur la situation réelle du projet, ses réussites et ses risques, et ont facilité la prise d’actions de pilotage, au moment opportun, pour une efficacité maximale. Les capacités de zoom des états d’avancement à l’échelle du projet, d’un niveau ou d’une activité ont permis d’affiner diagnostics et plans d’actions. In fine, les écarts plannings (SV’) et coûts (CV) sont restés sous contrôle.
Le cas étudié est celui d’un portefeuille de projets d’ingénierie du secteur industriel contenant plusieurs centaines de projets.
L’écueil principal de cette méthode découle directement de son principe fondateur, à savoir mettre en œuvre un EVM annualisé focalisé sur la performance de l’année en cours et non sur la performance à terminaison des projets. Il est ainsi possible pour un projet initialement prévu sur cinq ans de démarrer sa septième année d’existence avec comme point de mesure de performance la nouvelle (et septième !) PV annuelle. C’est un peu comme si chaque début d’année permettait de passer l’éponge et de repartir de zéro en matière de mesure de performance. Ce mode de fonctionnement basé sur une succession de performances annuelles éloigne les équipes de la notion de performance globale d’un projet. Si des garde-fous existent via la présence de plafonds de dérive annuelle pour les indicateurs SPI et CPI, quid du projet sachant rester, année après année, juste en dessous du seuil autorisé ? Pas sûr que sa performance d’ensemble soit au rendez-vous.
Un premier bénéfice de l’EVM annualisé réside dans la fourniture aux chefs de projets d’une méthode simple, clé en main, de mesure de l’avancement du projet et d’objectivation de cette mesure par rapport aux dépenses.
Un second bénéfice est la fiabilisation de la prévision budgétaire pour les financeurs du portefeuille malgré le nombre très important de projets. La disponibilité d’états mensuels de performance permet d’assurer un marquage précis du budget mais aussi d’activer une équipe de soutien mutualisée pour aider les projets les plus à risque à mettre en place les plans de sécurisations adaptés.
Nous pouvons ajouter qu’un EVM annualisé est moins exigeant en termes de planification qu’un EVM classique. Cela peut être à considérer si le portefeuille de projet est régulièrement confronté à des manques de maturité planning, et ce, quel qu’en soit la cause : caractère complexe ou innovant des projets, compétence planning des équipes, etc.
Que retenir de ce long exposé ?
Le prérequis essentiel à l’EVM réside dans l’existence de structures projet cohérentes et compatibles, notamment la WBS et la CBS.
La gestion par la valeur acquise s’appuie sur les indicateurs suivants dont il faut à la fois retenir la dénomination, le mode de calcul mais surtout la signification concrète !
Nota 1 : Le BAC n’est pas figé. Il est régulièrement mis à jour par l’intégration des évolutions décidées sur le projet. Ce point est évidemment crucial sur les projets industriels soumis à de nombreux changements.
Nota 2 : 0-100, 0-50-100, unité équivalente, jalons intermédiaires, à dire d’expert, etc. Il existe une grande variété de règles de calcul de l’avancement physique. Il appartient à l’équipe projet de fixer au plus tôt les règles… et de s’y tenir.
Nota 3 : La dépense n’est pas la valeur acquise : EV n’est pas AC. Si tel était le cas, il n’y aurait plus besoin de chefs de projets !
Nota 4 : Dans la figure ci-dessus, l’EAC est supérieur au BAC. Lorsqu’un projet ne peut se faire financer ses dépassements de coûts, il pioche dans ses réserves de management (PMR).
Nota 5 : Il y a une différence fondamentale entre les trois formules de calcul de l’EAC données ci-dessus. La première s’appuie sur la notion de reste à faire qui implique un réexamen complet des dépenses restantes, ce qui s’avère très fastidieux mais généralement plus cohérent si effectué avec rigueur. Les deux suivantes reposent quant à elles sur une extrapolation de la situation actuelle du projet, ce qui aboutit généralement à un résultat moins précis mais immédiat et facile à déployer.